- NUCLÉAIRES (FORCES)
- NUCLÉAIRES (FORCES)Les noyaux atomiques sont formés de nucléons (neutrons et protons). Ces derniers sont liés par des forces dites nucléaires, de nature différente de celles, gravitationnelles et électromagnétiques, qui sont connues depuis plus longtemps. Dans un noyau atomique, les forces nucléaires qui s’exercent sur un nucléon sont dues, en toute généralité, à l’influence de tous les autres: ce sont des forces à plusieurs corps. Toutefois, le traitement complet de ce problème à N corps, N étant le nombre de nucléons dans le noyau, est d’une extrême complexité.En l’état actuel des choses, on admet généralement l’approximation selon laquelle les forces les plus importantes dans le noyau sont celles à deux corps, c’est-à-dire dues à l’interaction des nucléons pris deux à deux; l’énergie potentielle associée à l’ensemble des nucléons du noyau est alors égale à la somme des énergies d’interaction mutuelle des paires de nucléons. Cette approximation ne semble pas jusqu’à présent mise en défaut par les observations empiriques et, pour cette raison, les études sur les forces nucléaires ont été, dans leur grande majorité, consacrées aux forces entre deux nucléons. Hans A. Bethe, Prix Nobel de physique, estimait d’ailleurs, dès 1950, que les physiciens avaient consacré à ce problème, durant ce dernier quart de siècle, une somme énorme de travail expérimental et théorique, probablement plus que pour n’importe quel autre problème scientifique dans l’histoire de l’humanité.Aspects expérimentauxLe système de deux nucléons peut se présenter sous la forme proton-proton, neutron-neutron ou proton-neutron. Ce dernier peut exister dans un état lié: le deuton, noyau de deutérium. C’est, après le proton, noyau de l’atome d’hydrogène, le noyau atomique le plus simple; son existence est due uniquement aux interactions à deux corps et, par conséquent, l’étude de ses caractéristiques fournit des informations précises et importantes sur les propriétés des forces nucléaires. Celles-ci peuvent également être obtenues à partir d’expériences de diffusion nucléon-nucléon: on bombarde des cibles constituées soit d’hydrogène, soit de substances riches en noyaux d’hydrogène comme la paraffine par des faisceaux de protons et de neutrons provenant d’accélérateurs de particules ou de réacteurs nucléaires.Lorsqu’un faisceau de neutrons bombarde des cibles de protons, certains neutrons sont capturés par des protons pour donner naissance à des deutons, mais la plupart sont diffusés élastiquement: l’énergie cinétique totale du système reste inchangée, seules les vitesses des particules changent en direction et en grandeur sous l’influence de l’interaction neutron-proton.Il n’existe pas d’état lié proton-proton et, par conséquent, les informations sur ce type d’interaction proviennent uniquement de l’étude de la diffusion proton-proton. Dans ce cas, faisceaux et cibles sont facilement réalisables et les expériences sont donc très nombreuses et d’une grande précision.Enfin, la diffusion directe neutron-neutron est, expérimentalement, difficile à réaliser car les neutrons libres sont instables et n’ont qu’une durée de vie brève, de l’ordre de quelques minutes. Toutefois, on peut étudier cette diffusion d’une manière indirecte, en bombardant par exemple des cibles de deutons par des neutrons: connaissant la diffusion neutron-proton, on peut en déduire la diffusion neutron-neutron. Le problème de l’existence d’un état lié neutron-neutron, le dineutron, est posé de temps à autre, mais son existence à l’heure actuelle n’est étayée par aucune indication expérimentale.Propriétés généralesL’analyse des résultats expérimentaux directs ou indirects, accumulés au cours de ces dernières décennies sur la diffusion nucléon-nucléon et les caractéristiques du deuton conduisent à des propriétés générales concernant l’intensité, la portée, la répulsion, l’indépendance de charge et le caractère non central des forces nucléaires. Ces dernières ont une intensité très forte, comparée à celle des forces électromagnétiques et gravitationnelles. À l’échelle du proton, le rapport est respectivement de 1 à 10-2 et 10-38. De cette grande intensité résulte le fait suivant: la fusion de deux noyaux légers en un noyau plus lourd peut libérer une énergie considérable. Par exemple, celle de deux deutons donne un proton et un triton, c’est-à-dire un noyau de tritium, selon la réaction:qui libère une énergie de 4 millions d’électron-volts. Ces réactions de fusion, dites thermonucléaires, sont à l’origine de l’énergie des étoiles et peuvent être source de production d’énergie, comme dans la bombe H, en particulier.Les forces nucléaires sont de courte portée . Elles sont de l’ordre de 10-13 cm équivalant à 1 fermi (ou femtomètre, fm), alors que les forces électromagnétiques et gravitationnelles ont des portées macroscopiques.Les forces nucléaires sont fortement répulsives . Cette propriété est vraie à très petites distances (inférieures à 0,5 fm); on dit qu’elles présentent un «cœur dur». Ces deux propriétés contribuent à la saturation de l’énergie de liaison des noyaux lourds: l’énergie de liaison par nucléon tend vers une constante lorsque le nombre de nucléons croît.Les forces nucléaires sont indépendantes de la charge . Abstraction faite des forces électromagnétiques, elles sont les mêmes entre une paire quelconque de nucléons. Toutefois, selon le principe de Pauli, la fonction d’onde d’une paire de protons ou de neutrons doit être antisymétrique, alors que celle du système neutron-proton peut être symétrique ou antisymétrique. Par conséquent, l’indépendance de charge implique seulement que les forces nucléaires entre un neutron et un proton dans un état antisymétrique sont égales aux forces entre deux protons ou deux neutrons, mais elle ne dit rien sur celles entre un neutron et un proton dans un état symétrique. Cette indépendance de charge peut être formulée de façon très simple en introduisant la notion de spin isobarique (ou encore isotopique), notion selon laquelle le neutron et le proton sont deux états du même nucléon différant par les valeurs de la troisième composante de l’isospin: 精z = + 1/2 pour le proton, et 精z = 漣 1/2 pour le neutron.Les forces nucléaires sont des forces non centrales . Elles ne dépendent pas seulement de la distance de séparation de deux nucléons en interaction, mais aussi de leurs états de spin. La preuve la plus simple et la plus directe de ce caractère non central est fournie par l’existence d’un moment électrique quadrupolaire pour le deuton:Cela peut s’expliquer par la présence d’une composante qui mélange des états de même moment cinétique total J et de même spin S, mais de moments cinétiques orbitaux L différents: des forces possédant cette propriété sont appelées tensorielles. D’autre part, l’analyse de la diffusion proton-proton indique également la présence des forces de type spin-orbite に . ひ.Aspects théoriquesLa théorie de YukawaLe premier pas important et décisif vers la théorie des forces nucléaires fut accompli par Yukawa Hideki, en 1935. Selon son hypothèse, les forces entre deux nucléons sont induites par l’échange d’une particule, analogue au photon responsable des interactions électromagnétiques entre deux particules chargées (fig. 1). Étant donné la courte portée des forces nucléaires, la particule médiatrice doit avoir une masse 猪 non nulle, ce qui constitue une première différence fondamentale avec le photon. Une théorie précise, entraînant des développements mathématiques qui n’ont pas leur place ici, donne lieu à un potentiel nucléaire de la forme:où la constante de couplage g caractérise l’intensité de ce potentiel, e étant la fonction exponentielle.Ce potentiel de Yukawa de courte portée est à comparer avec celui de Coulomb, de portée infinie, existant entre deux particules de charge électrique e :L’hypothèse de Yukawa a été brillamment confirmée, en 1947, par la découverte du méson 神 (aussi appelé pion) par C. M. G. Lattès, G. F. S. Ochiallini et C. F. Powell. Nous savons maintenant que c’est une particule de masse égale à 140 MeV/c 2 (où c est la vitesse de la lumière), de spin 0, de parité intrinsèque négative et pouvant se trouver dans trois états de charge électrique: + 1, 0, 漣 1, l’unité de charge étant celle de l’électron.La théorie de Yukawa ainsi que les propriétés du méson 神 permettent d’expliquer nombre de résultats expérimentaux connus à l’époque. Ainsi, le caractère pseudo-scalaire (spin 0, parité négative) et le caractère de triplet de charge du méson 神 entraînent le fait suivant: le neutron et le proton, constituant le deuton, se trouvent pour partie dans un état S (moment cinétique orbital nul) et pour partie dans un état D (moment cinétique orbital 2). Par conséquent, le deuton doit posséder un moment électrique quadrupolaire non nul, dont la valeur peut être reliée à l’intensité des forces nucléaires, exprimée en terme de la constante de couplage g des mésons 神 avec les nucléons. Expérimentalement, on obtient:avec 領 = h /2 神, où h est la constante de Planck et c la vitesse de la lumière, à comparer avec l’intensité des forces électromagnétiques:exprimée, elle, en terme de la constante de couplage du photon avec le proton, c’est-à-dire la charge électrique e du proton.Le succès de la théorie de Yukawa dans l’explication de la plupart des propriétés générales des forces nucléaires, mentionnées précédemment, a entraîné, au cours de la décennie suivant la Seconde Guerre mondiale, une grande activité à la fois expérimentale et théorique. Ainsi, des expériences de diffusion, effectuées à des énergies de plus en plus élevées, montrent que le modèle initial de Yukawa, consistant en l’échange d’un seul méson 神 entre les nucléons (fig. 1 b), n’est qu’une première approximation. Cette dernière est valable à basses énergies et à des distances de séparation des deux nucléons assez grandes, supérieure à 2 fm. Par ailleurs, si la théorie mésique de Yukawa devait être calquée sur l’électrodynamique quantique, étant donné la grande valeur de g , les corrections d’ordre supérieur au potentiel de Yukawa en g 4 (fig. 2 b) devraient être plus importantes que la première approximation en g 2 (fig. 1 b), contrairement à l’électrodynamique quantique où les corrections d’ordre supérieur au potentiel de Coulomb en e 4 (fig. 2 a) sont moins importantes que la première approximation en e 2 (fig. 1 a). C’est pourquoi, vers les années cinquante, un grand nombre de théoriciens, parmi lesquels des noms illustres, s’attaquèrent à ce problème, sans succès probants d’ailleurs.L’échange des mésons size=4福, size=4諸 et size=4靖À la suite de la découverte expérimentale, vers 1960, du méson 福 (masse 770 MeV/c 2, spin 1, isospin 1, parité négative) et du méson 諸 (masse 783 MeV/c 2, spin 1, isospin 0, parité négative), il était natuel de généraliser la théorie initiale de Yukawa, avec l’idée que, si l’échange du méson 神 produit la partie à longue portée des forces nucléaires, l’échange de ces mésons plus lourds, 福 et 諸, est responsable de celle à plus courte portée (fig. 3). Ce modèle est élégant par sa simplicité. Toutefois, afin de rendre compte correctement des forces nucléaires de portée intermédiaire, il est nécessaire d’y introduire l’échange d’un méson scalaire, de spin nul et d’isospin nul, désigné sous le nom de méson 靖, dont la masse doit être de l’ordre de 400-500 MeV/c 2. L’existence d’un tel méson n’a pas été confirmée expérimentalement. Néanmoins, ce modèle fournit une description qualitativement satisfaisante des forces entre deux nucléons, puisque l’échange des mésons 神 et 靖 donne lieu à une attraction à longue et moyenne portée et celui des mésons vectoriels, en particulier du méson 諸, produit une répulsion à courte portée.Les relations de dispersionLa formulation la plus moderne de la théorie mésique utilise un cadre théorique plus rigoureux, celui des «relations de dispersion». Elle peut, dès lors, fournir une description unifiée du modèle initial de Yukawa, avec ses contributions d’ordre supérieur, ainsi que du modèle d’échange de mésons lourds, sans qu’il soit nécessaire de faire appel au méson fictif 靖. Elle permet, en outre, d’inclure de façon naturelle les effets dus aux états excités du nucléon, les états isobares, observés dans la diffusion pion-nucléon. Cette approche non seulement fournit une explication des propriétés générales décrites ci-dessus, mais produit aussi des résultats quantitatifs en accord avec l’expérience, du moins pour les forces de longue et de moyenne portée. Quant à la partie de courte portée, nos connaissances actuelles de la physique des interactions fortes ne permettent pas d’en avoir une description théorique complètement satisfaisante, mais il est possible – en utilisant la multitude des résultats expérimentaux très précis dont on dispose – d’en faire une description phénoménologique bien déterminée.Les quarks et les gluonsLes développements, au cours des années passées, de la physique des particules élémentaires montrent que les nucléons et, de façon plus générale, les hadrons (particules à interactions fortes) sont des systèmes composés de constituants plus élémentaires, les quarks et les gluons [cf. PARTICULES ÉLÉMENTAIRES]. On serait donc en droit, en principe, de demander que toute la théorie des forces nucléaires soit construite à partir des degrés de liberté de ces constituants subhadroniques. Le problème dans toute sa généralité est cependant d’une complexité formidable et, jusqu’à présent, les tentatives dans cette direction n’ont abouti qu’à des résultats parcellaires. Heureusement, la propriété principale des quarks et des gluons est qu’ils restent confinés à l’intérieur des hadrons et ne peuvent se manifester à l’état libre. Dès lors, des arguments simples fondés sur ce confinement peuvent fournir des indications sur les approximations à adopter. En effet, lorsque deux nucléons se trouvent assez éloignés l’un de l’autre, ils ne peuvent interagir qu’en échangeant des mésons et non des quarks ou des gluons, ceux-ci devant rester confinés dans chacun des nucléons. Par contre, lorsque les nucléons sont très près l’un de l’autre et se recouvrent, les divers constituants subhadroniques appartenant aux deux nucléons peuvent interagir, et contribuer à l’énergie d’interaction. Cette situation, illustrée de façon schématique dans la figure 4, justifie, d’une part, l’utilisation de la théorie mésique exposée plus haut pour la description des forces à longue et moyenne portée et suggère, d’autre part, que, à courtes distances, les quarks et les gluons peuvent jouer un rôle non négligeable.La chromodynamique quantiqueOn admet généralement maintenant que la chromodynamique quantique (Q.C.D., correspondant à Quantum Chromo Dynamics) constitue une théorie fondamentale des interactions fortes. Toutefois, l’application de celle-ci à la physique hadronique à basses énergies, en particulier au problème des forces nucléaires, requiert des méthodes de calcul non perturbatives, dont la mise au point est loin d’être achevée. On est donc conduit, en l’état actuel des choses, à modéliser la Q.C.D. dans son régime non perturbatif. Les modèles les plus connus, comme ceux du «sac» ou des «cordes», conservent explicitement les degrés de liberté des quarks, ce qui, dans une certaine mesure, rend leur utilisation techniquement très difficile dans le problème des forces nucléon-nucléon.On peut aussi bien concevoir qu’il serait plus adéquat, puisque les constituants fondamentaux de la Q.C.D. (quarks et gluons) sont confinés, d’éliminer leurs degrés de liberté non directement observables, mais d’incorporer leurs effets dans une théorie effective, construite en termes de degrés de liberté hadroniques, tout en y incluant le maximum de propriétés importantes de la Q.C.D. Cette conjecture est étayée par des résultats récents selon lesquels, dans certaines conditions, la Q.C.D. peut être considérée comme équivalente à une théorie effective ne contenant que des mésons: les baryons, en particulier les nucléons, émergent alors de cette théorie comme des solitons et le calcul de l’interaction entre deux solitons conduit à celle entre deux nucléons. Les résultats obtenus récemment sont encourageants; de plus, ils peuvent être reliés assez étroitement à ceux de la théorie mésique. Du point de vue théorique, ces résultats sont remarquables car ils montrent la possibilité d’interpréter les théories mésiques, utilisées depuis de nombreuses années avec succès en physique nucléaire, comme des modèles effectifs provenant d’un certain schéma d’approximation d’une théorie fondamentale des interactions fortes, la chromodynamique quantique.
Encyclopédie Universelle. 2012.